Ce qui n’a pas de prix, Beauté, laideur et Politique, Annie Le Brun, Ed Stock, 2018
C’est la guerre, une guerre qui se déroule sur tous les fronts et qui s’intensifie depuis qu’elle est désormais menée contre tout ce dont il paraissait impossible d’extraire de la valeur. S’ensuit un nouvel enlaidissement du monde. Car, avant même le rêve ou la passion, le premier ennemi aura été la beauté vive, celle dont chacun a connu les pouvoirs d’éblouissement et qui, pas plus que l’éclair, ne se laisse assujettir.
Y aura considérablement aidé la collusion de la finance et d’un certain art contemporain, à l’origine d’une entreprise de neutralisation visant à installer une domination sans réplique. Et comme, dans le même temps, la marchandisation de tout recours à une esthétisation généralisée pour camoufler le fonctionnement catastrophique d’un monde allant à sa perte, il est évident que beauté et laideur constituent un enjeu politique.
Jusqu’à quand consentirons-nous à ne pas voir combien la violence de l’argent travaille à liquider notre nuit sensible, pour nous faire oublier l’essentiel, la quête éperdue de ce qui n’a pas de prix ?
Photogénie de l’exposition
Textes et entretiens de François Aubart, Xavier Douroux, Pierre Leguillon, Florence Ostende, Rémi Parcollet, Ippolito Pestellini Laparelli, Jean-Marc Poinsot
Manuella éditions, juin 2018
Quantité d’œuvres ne sont connues du public que par le biais de leur image photographique (quand ce n’est pas la photographie elle-même qui se substitue à son souvenir). Ce phénomène pose au sein des Visual Studies de vastes questions, liées à la polysémie des œuvres, à la mémoire de ce que l’on regarde et à la patrimonialisation des œuvres en situation d’exposition, mais aussi à l’écriture de l’histoire de l’art et même à l’évolution des pratiques artistiques.
Cet ouvrage fait le point sur le nouveau statut des photographies de vues d’exposition : fonction documentaire complexe, entre archive et support de représentation, elles n’ont pas qu’une valeur testimoniale, mais s’inscrivent aussi dans le contexte postmoderne comme des outils artistiques et curatoriaux.
Comment le voile est devenu musulman, Bruno Nassim Aboudrar
Champs, Flammarion 2017
Loin des polémiques, Bruno Nassim Aboudrar renouvelle le débat et met au jour les malentendus qui entourent cette pratique millénaire. Le voile n’est pas spécifiquement musulman : il l’est devenu. Presque absente du Coran, c’est une prescription construite progressivement, au terme d’une histoire dont l’épisode colonial est un chapitre majeur.
Si le port du voile nous choque, c’est moins en raison de l’outrage fait aux femmes ou de l’entorse à la laïcité que parce qu’il bouleverse un ordre visuel fondé sur la transparence, et lui oppose un provocant plaidoyer pour l’opaque, le caché, le secret, l’obscur. Et pour les musulmanes qui se voilent en Occident, n’est-ce pas un jeu de dupes, une impiété nichée au coeur d’une intention religieuse ? Car en montrant qu’elles se cachent, elles cachent en réalité qu’elles se montrent…
Scrutant tour à tour la lettre du Coran, le voyeurisme de l’art orientaliste, les dévoilements spectaculaires orchestrés en Turquie ou au Maghreb, cette histoire croisée du regard, illustrée d’une trentaine de tableaux et de photos, délivre une lecture inédite des stratégies à l’oeuvre derrière le voile.
Chers « Amis du Magasin » et amis tout court
Après un été qui ferait prendre conscience à tout dirigeant de grand pays, de l’urgence à considérer l’écologie comme une voûte à toute politique mais qui nous a quand même bien arrangé dans nos activités de loisirs, voici un petit billet de rentrée.
L’art contemporain reprend vigueur hors des expos d’été en pays touristiques (quoique dans le secteur d’Annecy, les institutions étaient fermées tout l’été!…). Art-o-rama à Marseille en cette fin de semaine, mais aussi à deux pas de chez vous, une exposition remarquable au Centre d’Art Bastille, accessible en bulles, à pieds ou en voiture par La Tronche.
Elle mérite une large audience pour au moins 3 raisons liées à l’artiste et une quatrième liée la structure.
La qualité de l’artiste sur l’ensemble des œuvres créées jusqu’à ce jour.
La beauté plastique (n’ayons pas peur de ces mots) des modèles home (Sonata) présentées dès l’entrée.
L’intelligence avec laquelle il s’est emparé du lieu et de la salle d’entresol.
En revanche, je vous recommande de vous faire expliquer par le médiateur les infimes dispositifs qui jalonnent le circuit et qui sont en relation avec l’antenne du sous-sol.
Présenter une telle exposition avec les moyens infimes dont dispose le CAB, (exposition qui plus est, faisant suite à celle de Jeanne Susplugas) est une gageure, relève de l’exploit, du courage et de l’huile de coude !
À voir de toute urgence ; à vos baskets, voitures ou porte-monnaie (bulles). N’hésitez pas à en parler autour de vous.
Sylvie Berthemy Présidente
Anthropologue de grand renom, Marc Augé a toujours été préoccupé par la question de l’autre : l’autre individu, l’autre société, l’autre culturel, l’autre géographique.
Dans ce livre, il entraîne son lecteur des stades des grandes villes aux lagunes de la Côte d’Ivoire ; il s’interroge sur le sens du cannibalisme, les rêves des Indiens du Venezuela ou la fonction des héros des séries américaines.
Après plus d’un demi-siècle d’observations, il revient ici sur les relations entre le même et l’autre, telles qu’elles existent au sein de populations africaines ou amérindiennes, et telles qu’elles se dessinent de nos jours, dans le contexte de la mondialisation. L’art, la ville et son expansion galopante, mais aussi les nouvelles mobilités et l’essor des prosélytismes religieux, acquièrent, sous le regard de l’anthropologue, un sens inédit.
Il faut savoir pratiquer l’« art du décalage » et se tenir au « carrefour des incertitudes » si l’on veut échapper à l’uniformité, à la fatalité qui voudrait que l’on soit tous les mêmes.
Marc Augé est l’un des plus grands anthropologues français. Il a présidé l’EHESS, où il a succédé à Fernand Braudel, Jacques Le Goff et François Furet.
Il est l’auteur d’une quarantaine d’ouvrages qui font autorité. Il a notamment publié Génie du paganisme, Non-lieux ou bien encore Une ethnologie de soi, et plus récemment La Sacrée Semaine qui changea la face du monde, qui fut un grand succès.