Qui est l’autre ?, de Marc Augé

Anthropologue de grand renom, Marc Augé a toujours été préoccupé par la question de l’autre : l’autre individu, l’autre société, l’autre culturel, l’autre géographique.

Dans ce livre, il entraîne son lecteur des stades des grandes villes aux lagunes de la Côte d’Ivoire ; il s’interroge sur le sens du cannibalisme, les rêves des Indiens du Venezuela ou la fonction des héros des séries américaines.

Après plus d’un demi-siècle d’observations, il revient ici sur les relations entre le même et l’autre, telles qu’elles existent au sein de populations africaines ou amérindiennes, et telles qu’elles se dessinent de nos jours, dans le contexte de la mondialisation. L’art, la ville et son expansion galopante, mais aussi les nouvelles mobilités et l’essor des prosélytismes religieux, acquièrent, sous le regard de l’anthropologue, un sens inédit.

Il faut savoir pratiquer l’« art du décalage » et se tenir au « carrefour des incertitudes » si l’on veut échapper à l’uniformité, à la fatalité qui voudrait que l’on soit tous les mêmes.

Marc Augé est l’un des plus grands anthropologues français. Il a présidé l’EHESS, où il a succédé à Fernand Braudel, Jacques Le Goff et François Furet.
Il est l’auteur d’une quarantaine d’ouvrages qui font autorité. Il a notamment publié Génie du paganisme, Non-lieux ou bien encore Une ethnologie de soi, et plus récemment La Sacrée Semaine qui changea la face du monde, qui fut un grand succès.

Liquidation de l’art, de Karel Teige

« L’artiste professionnel est une erreur et aujourd’hui, dans une certaine mesure, une anomalie. »

Et l’art est le manuscrit immédiat de la vie.

Liquidation de l’art contient les premiers écrits de Karel Teige et jette les bases théoriques d’une nouvelle création où “le nouvel art ne sera plus l’art”. En témoignent les reproductions nombreuses et étonnantes qui émaillent ces textes comme ils illustrent parfaitement l’alliance, à première vue incongrue, entre poétisme et constructivisme.

Traduit du tchèque et présenté par Sonia de Puineuf.
Image de couverture : Karel Teige.

 

Altermuséologie – Manifeste expologique sur les tendances et le devenir de l’exposition

Serge Chaumier, Ed Hermann, janvier 2018

L’exposition est multiple et protéiforme, omniprésente et multidisciplinaire. Pratique culturelle des plus communes, elle connaît un succès indéniable auprès des publics et évolue en fonction des transformations et mutations des sociétés contemporaines. En quoi l’exposition prend-elle son autonomie tant vis-à-vis du secteur du patrimoine que de ses missions originelles d’éducation ? Pourquoi le concept de médiation culturelle doit-il être clarifié ? Forgeant son discours sur ces questions centrales, Serge Chaumier découvre de nouveaux territoires d’exploration et de développement pour l’avenir.
En favorisant l’expérientiel, l’interprétation, l’engagement et la participation, l’exposition accompagne et illustre les formes nouvelles de l’action culturelle.

Le cercle invisible – Environnements, systèmes, dispositifs


Emanuele Quinz, Les presses du réel, nov 2017

«Le public est dans le cercle parce que nous vivons en cercle. […] L’art nous apprend à vivre dans le cercle» expliquait, en 1967, John Cage dans un entretien.
Et c’est bien la voie que l’art entreprend avec les expérimentations des avant-gardes du début du siècle dernier, avec les pratiques de l’installation, de la participation ou de la relation des années 1960 et 1970, et plus récemment, avec les recherches technologiques des années 1990.
Les artistes se détournent des objets pour explorer l’installation, la participation, la relation, l’interaction.
Analysant ces transformations dans une perspective interdisciplinaire, où les arts plastiques croisent la musique, les arts de la scène ou la performance, les essais réunis dans ce volume, écrits «sur le terrain », se déploient en parcours et convergent sur la définition d’un art sans objet, qui, comme un cercle invisible, entoure le public – tout à la fois environnement, système, dispositif.

 

Marcher, créer, Déplacements, flâneries, dérives, dans l’art de la fin du XXe, Paris,

Thierry Davila, 2002, éditions du Regard

Thierry Davila  fait le constat qu’une partie de l’art actuel accorde au déplacement un rôle majeur dans l’invention des œuvres.

« C’est à partir de l’accès aux territoires, avec lui, que peut avoir lieu leur invention. »

L’auteur, conservateur au Mamco de Genève, étudie la question de la mobilité et son traitement par les artistes, à travers la figure de l’homme qui marche, de l’arpenteur. Cette figure  prend différentes formes, comme le souligne l’intégralité du titre : le piéton, le pèlerin, le manifestant, le flâneur,… Le livre relate l’histoire de la flânerie et analyse des problématiques qu’elle engendre dans le travail de certains artistes contemporains . Le thème, récurrent dans l’art, de la spatialisation s’étend ici au mouvement et au déplacement, qui deviennent éléments centraux de la création. Ce brillant essai n’est pas seulement une claire présentation des travaux-parcours de quelques « piétons planétaires » tels que Gabriel Orozco, Francis Alys et le groupe romain Stalker; c’est aussi un très stimulant essai sur notre rapport à la déambulation dans l’espace-temps d’aujourd’hui : ces artistes y ont ouvert des interstices pour le jeu, la fiction et la liberté.

SB

Un siècle d’arpenteurs, les figures de la marche

catalogue RMN, 2000
textes de Maurice Fréchuret, Daniel Arasse (voir extrait ci-dessous), Patricia Falguières, Eric Michaud, Lionel Nourg, Gilles A. Tiberghien, Thierry Davila

Extrait du texte de Daniel Arasse
La meilleure façon de marcher. Esquisse pour une histoire de la marche
d’arpenteurs, les figures de la marche

[…]Mais il est plus significatif encore que les premières images montrant des hommes et des femmes marchant hors de tout contexte narratif soient des représentations de paysans. Le Vénitien Jacopo Bellini a réalisé plusieurs dessins sur ce motif et l’un d’entre eux au moins montre clairement la distance sociale qui sépare le militaire à cheval et le paysan. Deux oeuvres réalisées à Padoue ou Ferrare en 1470-1480 méritent à ce propos une attention particulière. Il s’agit de gravures et, donc, d’images destinées à une certaine diffusion -alors que les dessins de Bellini peuvent être considérés comme des modèles réservés à l’atelier. Elles constituent dès lors, à notre connaissance, les premières représentations « publiques » d’un homme et d’une femme en marche hors de tout contexte narratif. Représentant un paysan et une paysanne se rendant au marché, les figures ne comportent à première vue aucune connotation négative -et on pourrait même y voir la manifestation d’un intérêt pour une catégorie sociale défavorisée. Pourtant, vers 1600, une main anonyme a caractérisé péjorativement l’image en qualifiant la femme de « Villana falsa maledetta » (« Maudite paysanne menteuse ») et on a pu donc voir dans cette double image l’expression de la défiance et du mépris que les hommes des villes éprouvaient à l’égard des hommes des champs. Comme le déclare l’Alfabeta sopra li Villani à la fin du XVe siècle, à l’opposé de l’habitant des cités, craignant Dieu et civilisé, le paysan, descendant de Caïn, « toujours obligé de travailler, perfide, mauvais, ingrat », ignore autant ses prières que ta courtoisie et ne connaît que « la colère, l’envie, la haine et le vol ». S’il est donc difficile d’affirmer le sentiment qui, à l’origine, a inspiré les gravures, il est certain en revanche que, loin du prestige que leur accordait le thème de l’Adoration des bergers, la représentation des paysans s’est développée comme genre inférieur, « bas » ou « comique », dans la hiérarchie des « modes » picturaux et que l’image du paysan ou de la paysanne se rendant à pied au marché est un des motifs privilégiés de cette représentation fortement chargée socialement. Ce n’est pas un hasard Si, dans leur volonté de traiter dignement la représentation paysanne jusqu’à l’élever à la noblesse de la peinture d’histoire, les frères Le Nain ne représentent jamais leurs paysans en marche.

Qu’elle soit citadine ou campagnarde, qu’il s’agisse du piéton sans carrosse ou du paysan attaché à la terre, la marche devient ainsi la figure d’une condition non plus terrestre mais terrienne. Elle n’est plus perçue comme la conséquence de la Chute originelle mais comme la pratique d’une pesanteur qu’il convient de dissimuler par l’élégance civile d’une démarche codifiée ou, mieux encore, d’éviter en quittant le sol pour se faire transporter -que ce soit à cheval, en voiture ou en chaise à porteurs. On comprend, dans ce contexte, que le portrait, peint ou sculpté, puisse présenter son modèle debout ou assis, mais pas en marche- tandis que, dans le portrait équestre, la monture imite la marche mais le modèle demeure noblement assis.

PRATICABLE : de la participation à l’interaction dans l’art contemporain

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10 octobre 2017, de 10h à 19h
Auditorium Colbert de l’Institut national d’histoire de l’art (INHA)
6 Rue des Petits Champs, 75002 Paris

Comment concevoir des œuvres d’art réalisées avec l’implication physique de leurs spectateurs, des œuvres à même de provoquer des expériences esthétiques autant que pratiques ?

Entre deux registres d’activité a priori opposés, la contemplation et l’usage, comment proposer une troisième voie : celle d’œuvres “praticables”, constituées pour et avec l’action du public ?

En s’appuyant sur le récent ouvrage Practicable. From Participation to Interaction in Contemporary Art édité chez MIT Press par Samuel Bianchini et Erik Verhagen, une douzaine de contributeurs – artistes, historiens et théoriciens de l’art – reviendront sur cette problématique aussi bien historique qu’actuelle, de la naissance de la cybernétique aux dispositifs socio-techniques contemporains.

 

Pour un art socialisé

Ghislain Mollet-Viéville

Personnellement, je m’intéresse à l’art au niveau de tout ce qui constitue ses contours et j’entends par là, tout ce qui va pouvoir être généré comme relations au sein de notre société au point de voir l’œuvre devenir secondaire face aux comportements qu’elle induit.

L’art, c’est un état d’esprit c’est pourquoi je ne suis pas concerné par les œuvres qui sont des objets finis sur lesquels on ne pourrait pas intervenir. Mon attention n’est retenue que par les œuvres qui correspondent à la première définition qu’en donne le dictionnaire : une œuvre comme activité, travail. Par exemple « être à l’œuvre » ne signifie pas produire un objet d’art.         Je me sens proche de ce qu’avance Paul Valéry quand il écrit en 1935 : « Et pourquoi ne pas concevoir comme une œuvre d’art l’exécution d’une œuvre d’art » (1).

Les artistes que j’associe à mes réflexions, sont donc ceux qui me proposent des protocoles m’invitant à réaliser leurs œuvres en les vivant. Idéalement ce seront ceux qui me feront agir dans la vie réelle et dont les œuvres varieront au cours du temps en fonction de l’idéologie de leur époque.

Aujourd’hui il n’est pas question d’avoir pour but de remettre en question l’art, cela a été fait trop systématiquement et finalement c’est devenu une sorte de leitmotiv qu’il est temps dépasser. Il faut plutôt procéder plus radicalement en se déportant hors des lieux de l’art et libérer l’art de l’idée de l’art (et cela c’est déjà tout un art !).

Ainsi procède Jean-Baptiste Farkas avec son entreprise IKHÉA©SERVICES qui propose à titre d’œuvres, des conduites nous éloignant de la routine (2).

L’objectif de Jean-Baptiste est de créer des anomalies dans l’univers normé de nos existences. Ce sont donc à de véritables défis auxquels il nous invite afin d’expérimenter des situations dont les issues souvent imprévisibles, sont toujours riches d’enseignements.

Il fait partie de ces auteurs qui privilégient des actions pour lesquelles il n’y a pas un concepteur et des spectateurs pour une œuvre unique, mais de multiples acteurs qui participent à des manœuvres collectives dont les artistes sont à l’origine.

Ainsi, avec l’art qui a pour postulat la sociabilité, nous assistons à une mutation culturelle où l’expérimentation, l’échange ainsi que le partage s’opposent au principe d’une propriété exclusive de l’œuvre. Je pense en effet que l’art (comme la culture), doit pouvoir être transmissible de manière illimitée et se fortifier dans la mesure où il est partagé et exploité par tous.

Enfin activer l’art plutôt que de l’accrocher comme un trophée au dessus de sa cheminée, voilà qui nous exhorte à devenir les initiateurs d’un certain « art de vivre » décalé et c’est ce que je souhaite à tous ceux qui viennent de me lire.

 

(1) Paul Valéry, « Mon buste » [1935], Œuvres II, Gallimard, coll. « La Pléiade », 1960, p. 1362. Je me sens proche de cette phrase, étant moins attaché au résultat formel donné à l’œuvre, qu’aux expériences qu’elle suscite lors de sa réalisation et de son exploitation.

(2) Des modes d’emploi et des passages à l’acte, Jean-Baptiste Farkas, éditions Mix, Paris, 2010

Source…

Requins, caniches et autres mystificateurs

Jean-Gabriel Fredet, Albin Michel 2017

Il se passe toujours quelque chose sur la scène de l’art contemporain. Maurizio Cattelan exposait récemment à New-York, – au musée Guggenheim – son dernier chef-d’œuvre : une cuvette de WC en or massif. Au printemps 2017, Jeff Koons détournait  les chefs-d’œuvre classiques pour lancer une ligne de sacs d’une grande marque de luxe reproduisant des tableaux célèbres de Léonard de Vinci ou de Rubens.  À Venise, pour signer son grand retour, Damien Hirst proposait, lui, une exposition hollywoodienne, 200 pièces récupérées d’une épave engloutie ( en fait, entièrement fabriquées dans ses ateliers). Prix affichés, entre 400 000 et 4 millions de dollars.

Dans cet univers sans foi ni loi, des managers affûtés manipulent les prix à l’abri des regards et dictent leur volonté au marché dans l’indifférence de la critique comme des conservateurs de musée qui regardent ailleurs, tétanisés par la crainte de rater les « nouveaux impressionnistes ».

Provocation des artistes, conformisme des amateurs : l’art contemporain devait nous aider à comprendre le monde. Il danse aujourd’hui sur un volcan.

SB

L’exforme, Art, idéologie et rejet

de Nicolas Bourriaud, PUF septembre 2017

Huit ans après la parution de son dernier livre, Nicolas Bourriaud brise son silence avec L’Exforme, une méditation étonnante sur notre condition à l’âge de la multiplication des déchets – déchets du capitalisme, de la consommation, de l’industrialisation, des rêves nucléaires. Comment apprendre à vivre dans un monde de déchets ? Pour Nicolas Bourriaud, la réponse est claire : un tel apprentissage ne peut se penser sans le secours des œuvres de l’art d’aujourd’hui – œuvres qui ont fait du déchet leur préoccupation, leur constitution ou leur forme même. Ce dont nous avons besoin, c’est d’inventer des formes de vie qui soient des « exformes », qui acceptent de se confronter au fait qu’elles sont elles-mêmes en train de se transformer en déchets.

Inspiré par les écrits de Karl Marx, Walter Benjamin et Louis Althusser, Nicolas Bourriaud propose une ronde à l’intérieur d’une nouvelle « fantasmagorie du capital » : la ronde de ce qui est rejeté, et qui, d’être rejeté, ne cesse de faire retour et de réclamer sa place. À la fois panorama remarquable de l’art contemporain, méditation puissante sur la condition politique d’aujourd’hui et essai de définir les coordonnées existentielles du présent.

SB